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Choisir la langue
À la défense des droits de la personne
Entrevue
Remzi Cej

Remzi Cej Du déplacement à l’activisme

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ANNÉES 7 à 12  /  DURÉE SUGGÉRÉE = Quatre classes de 60 minutes

« Quand nous nous qualifions nous-mêmes de victimes, nous capitulons devant ceux qui, par leurs actions, tentent de nous affaiblir. J’ai toujours essayé de dire que j’étais un survivant et non une victime. »

Remzi Cej avait 7 ans quand son enseignante a dû boucher les portes et les fenêtres de l’école avec des serviettes mouillées afin d’empêcher les gaz lacrymogènes de s’infiltrer à l’intérieur. Les gaz visaient des étudiantes et étudiants albanais qui manifestaient pour le maintien de leur langue comme langue d’enseignement au Kosovo. Des mois plus tard, il a vu sa mère donner asile à un autre manifestant et mentir à un policier serbe afin d’empêcher l’arrestation de cet homme.

Remzi avait 15 ans lorsque des policiers serbes sont venus expulser sa propre famille.

Il a été forcé de quitter sa maison, à Mitrovica, et de marcher jusqu’à la frontière albanaise, un long parcours marqué par la faim et la soif. En cours de route, il a aussi craint pour sa vie quand un paramilitaire serbe lui a mis son fusil sur la tempe parce qu’il avait osé prendre la défense d’un garçon de 8 ans affamé.

Les parents de Remzi, qui n’avaient pas un sou, ont dû acheter la clémence du paramilitaire avec le collier de sa mère.

« Il m’a laissé partir. Mais les choses auraient pu mal tourner simplement parce que j’avais dit quelque chose de tout à fait innocent, mais quelque chose que je devais dire parce que cet enfant était… On pouvait voir le désespoir dans ses yeux. »

Remzi et ses parents ont marché pendant huit jours. Au cours de ce périple, il a vu au bord de la route une femme serbe qui, avec son tuyau d’arrosage, remplissait des bouteilles d’eau pour les nombreuses familles albanaises, turques, roms et bosniaques qui passaient par là. Elle essuyait ses larmes d’une main et remplissait les bouteilles d’eau de l’autre. « S’il vous plait, ne nous oubliez pas. Nous ne sommes pas tous d’accord avec cette violence insensée! Pas en mon nom! », répétait-elle, tout en aidant les familles à étancher la soif de leurs proches.

Au terme de cette longue marche, Remzi et ses parents ont vu leurs passeports jetés sur une pile et Remzi s’est fait dire de ne plus jamais remettre les pieds chez lui. Pendant l’année et demie qui a suivi, il a vécu dans sept camps de réfugiés en Albanie.

À 16 ans, Remzi est arrivé au Canada avec ses parents munis de documents de voyage les déclarant apatrides. Il a mis dix ans avant de retourner au Kosovo.

Depuis, il raconte son histoire.

C’est en voyant ce que les gens sont prêts à faire pour aider des étrangers que Remzi Cej a voulu faire quelque chose. Il a alors commencé à travailler pour les organisations qui avaient lutté pour lui : Amnistie Internationale, War Child Canada et Oxfam.

« Je souhaitais de tout cœur faire quelque chose pour ceux et celles qui, comme moi, fuyaient la violence dans leur pays », dit-il.

Même s’il était fier de ses racines kosovares, ainsi que de sa culture albanaise et turque, Remzi Cej a fait du Canada son pays. Il s’est aussi dit que le Canada était le lieu tout désigné pour faire avancer sa cause ».

« Ce que j’ai vu au Canada, c’est l’espoir que je n’avais pas lorsque je me trouvais avec mes parents dans un camp de réfugiés et que nous ne savions pas où nous irions, déclare-t-il. Pour moi, le Canada atteint presque cet idéal d’égalité dans la diversité, ce que je n’aurais jamais cru possible avant. »

« Comme la vie serait ennuyeuse si on ne voyait que les mêmes visages partout!, poursuit-il avec un grand sourire. Je décrirais le Canada comme le pays le plus captivant du monde. »

Son travail à la défense des droits de la personne l’a amené à occuper son poste actuel de président de la Commission des droits de la personne de Terre-Neuve-et-Labrador.

Pour Remzi Cej, la vieille discrimination qui hante ses souvenirs du Kosovo et qui réapparait dans son propre milieu est « inquiétante ».

« Les violations des droits de la personne sont tout aussi graves et difficiles pour quelqu’un d’ici qu’elles le seraient pour quelqu’un au Kosovo, ajoute-t-il. Elles vous rappellent d’une certaine façon que vous êtes différent, et qu’être différent implique en quelque sorte être inférieur. »

« La lutte ne s’arrête jamais. Elle se refaçonne encore et encore, mais elle continue toujours. »

Remzi Cej a appris à ses dépens qu’inspirer l’activisme n’était pas aussi facile qu’il l’aurait cru. Ce n’est pas une mince affaire que d’amener les gens à se soucier d’une personne étrangère.

S’il se réjouit de l’énergie avec laquelle une jeune fille de 10 ans court vers lui pour lui proposer une vente de pâtisseries afin de changer le monde, il trouve en revanche qu’en vieillissant, les gens ont tendance à juger cette énergie naïve.

«Avant, je pensais que si on arrivait à bien raconter une histoire et à faire comprendre aux autres les difficultés que vit quelqu’un, les gens seraient tellement touchés qu’ils voudraient agir, dit-il. J’ai été déçu de ne pas vraiment y arriver. »

Mais, idéaliste ou pas, Remzi Cej ne peut s’empêcher de continuer à lutter. Il croit dans la grande bonté de ses concitoyennes et concitoyens canadiens.

Alors qu’il travaillait à St. John’s comme interprète pour des personnes réfugiées, Remzi s’est assis avec un Rom à l’hôpital et a discuté avec lui de tout et de rien, pendant des heures. Il espérait ainsi détourner l’attention de l’homme du fait que sa petite fille de 6 mois était mourante dans la pièce voisine.

Cet homme pleurait. Son plus grand souhait était que sa seule fille, née après deux fils, puisse vivre une longue et heureuse vie et qu’elle n’ait aucun souvenir du camp de réfugiés où elle était née.

Lorsque le personnel est parti avec le corps de la petite, l’homme s’est arrêté de pleurer et s’est tourné vers Remzi.

« Vous savez, c’est incroyable que je sois ici aujourd’hui », lui a-t-il dit. L’homme a raconté à Remzi qu’au Kosovo, on l’aurait insulté. Compte tenu de ses origines, on l’aurait blâmé pour l’état de santé de sa petite.

« C’est à la fois très triste et extraordinaire, m’a dit cet homme, qu’il ait fallu que je vienne jusqu’ici pour me sentir respecté par quelqu’un qui n’a jamais entendu parler de moi, qui ne sait rien de moi et qui me traite comme si j’étais un des siens. »

C’est une histoire de simple compassion instinctive, mais la surprise qu’il a entendue dans la voix de cet homme est quelque chose que Remzi connait bien. C’est cette compassion — et le fait que des gens ne savent pas le bien que procure la compassion — qui pousse Remzi à continuer, même dans les moments difficiles.

« J’essaie d’éveiller l’activisme chez les gens, dit Remzi, parce que je pense qu’un jour, j’oublierai le Kosovo. Je ne veux pas que ce souvenir s’efface, car c’est une des seules choses qui me motivent. »


« Je veux me battre de toutes mes forces contre cette notion qu’être différent équivaut en quelque sorte à être inférieur parce que c’est tout le contraire. De fait, nos différences nous fortifient, nous enrichissent et nous rendent meilleurs, et nous sommes toutes et tous différents à bien des points de vue. »

« Ce ne sont pas des libertés que l’État ou les Nations Unies ou d’autres nous ont données. Ce sont des libertés et des droits que nous avons dès la naissance. On ne peut pas nous les retirer facilement. »

« Je pense juste que nous sommes toutes et tous des défenseurs des droits de la personne à un moment donné. Si on souhaite remplacer l’expression “défenseurs des droits de la personne” par autre chose, je dirais simplement “humains” parce qu’il appartient à tout le monde de faire quelque chose pour un autre être humain. »