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À la défense des droits de la personne
Entrevue
Wilton Littlechild

Wilton Littlechild Vérité et réconciliation

ANNÉES 5 à 12  /  DURÉE SUGGÉRÉE = Six classes de 60 minutes

« Pour l’enfant déraciné, pour le parent laissé derrièrei. »

Wilton Littlechild, Ph. D., aujourd’hui chef cri, avait 6 ans quand le gouvernement l’a retiré à ses grands-parents pour le placer dans un pensionnat situé à plusieurs kilomètres de chez lui et lui attribuer un numéro : le ERIS65.

« 65, viens ici. »

Financés par le gouvernement et dirigés par des Églises chrétiennes, les 139 pensionnats officiellement reconnus cherchaient à « civiliser et christianiser » les Autochtones dès l’enfance. L’objectif était de remplacer la culture et la langue autochtones par la culture canadienne dominante.

« L’objectif était de faire sortir l’Indien de l’enfant : c’était de l’assimilation. »

Aujourd’hui, retirer de force un enfant de son foyer est considéré comme une violation des droits de la personne selon la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le dernier pensionnat a fermé ses portes il y a moins de 20 ans, en 1996.

Pour Wilton Littlechild, le pensionnat était un endroit inconnu et effrayant. Souvent incapable de dormir, il a passé de nombreuses nuits caché sous son lit, à étudier à la lueur de sa lampe de poche, son unique moyen de défense. S’il a lui-même été victime d’une violence physique et sexuelle inimaginable, il a aussi vu ses camarades de classe se faire battre pour ne pas avoir travaillé assez fort, pour avoir mal répondu à une question ou pour rien du tout.

Il en a vu deux se rebeller.

Et ces actes de petite rébellion, bien que rapidement réprimés, l’ont secoué et sont restés gravés dans sa mémoire.

Ses camarades l’ont incité à rechercher la justice. Le sport, en particulier le hockey, est ce qui l’a poussé à persévérer à l’école et lui a permis, plus tard, de devenir avocat et de poursuivre ainsi son idéal de justice.

Pour Wilton Littlechild, le sport a été un moyen d’échapper à la violence. Après 14 ans de pensionnat, c’est sa passion pour le hockey, la culture autochtone et la spiritualité qui lui a permis de réussir ses études universitaires et ses études de droit.

Plus tard, son travail l&rsuo;a mené jusqu’au siège des Nations Unies à Genève en tant que représentant de la Première Nation Crie Maskwacis et des Premières Nations visées par les traités nos 6, 7‎ et 8, et jusqu’à la Haute Cour de justice de Londres pour réclamer l’inclusion des traités dans la Constitution du Canada. Wilton Littlechild affirme qu’il voulait suivre les conseils de ses ainés et faire du Canada un pays où il ferait bon vivre pour les générations futures, un pays meilleur que ce qu’il avait été pour lui et sa famille.

Comme ses grands-parents, Wilton Littlechild a lutté tout au long de sa carrière pour faire respecter les droits autochtones issus des traités — des droits inscrits dans les traités conclus entre les peuples autochtones et les colons européens depuis 1763, et enchâssés dans la Constitution du Canada. Les traités, explique-t-il, prévoient un droit à l’éducation « du berceau à la tombe ». Les chefs autochtones continuent de lutter en faveur d’une véritable mise en œuvre des traités et multiplient en particulier les efforts pour se faire entendre.

À titre de député, Wilton Littlechild a assisté à un discours de Nelson Mandela à la Chambre des communes. Voir Mandela prendre la parole a été pour lui une source d’inspiration, mais il s’est demandé pourquoi d’autres voix, celles des ainés, des chefs, des femmes et des enfants, ne pouvaient être entendues et comprises.

« Pourquoi pas nous? »

C’est après 2008, année où il a proposé une résolution afin de permettre au Chef national de l’Assemblée des Premières Nations de s’adresser aux députés et députées, et de remplacer la masse traditionnelle de la Chambre par un bâton d’orateur, que Wilton Littlechild a ressenti un véritable changement.

« Nous avions notre tribune et pouvions prendre la parole en utilisant notre symbole. »

Wilton Littlechild explique que la voie vers un Canada meilleur passe par la vérité — le « récit vrai et honnête » des expériences personnelles — et la réconciliation, ou wītaskīwin, un mot cri qui désigne le rétablissement de « bonnes relations » fondées sur le respect. Et avec ce rétablissement vient la volonté de s’encourager, de se remonter le moral mutuellement, ce qui s’exprime par le mot cri upintowin.

Si le chef Littlechild s’est entretenu avec certains des plus grands et des plus célèbres dirigeants du monde, il a passé les dernières années à écouter les histoires des personnes oubliées ou ignorées. Avec ses collègues de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, il a visité de petites communautés aux quatre coins du Canada. Il a pris des chemins rarement empruntés pour entendre les Autochtones raconter leur vie parmi la population canadienne.

Bien que la Commission n’ait pas été mise en place dans l’unique but d’étudier la question des pensionnats, Wilton Littlechild et ses collègues commissaires ont, tout au long de leur mandat, entendu les mêmes histoires, encore et encore. D’un bout à l’autre du pays, des voix tremblantes ont raconté comment les enfants autochtones avaient été arrachés à leurs familles et emmenés à des kilomètres de chez eux, pour ne jamais y retourner dans bien des cas. Pour la première fois, Wilton Littlechild comprenait à quel point sa propre histoire était loin d’être unique.

Selon les estimations, au moins 80 000 des 150 000 élèves des pensionnats du Canada vivent encore aujourd’hui. Wilton Littlechild et les autres membres de la Commission de vérité et réconciliation ont entendu les témoignages de plus de 6 750 survivants et survivantes, membres de leurs familles et autres personnes.

Élevés pour oublier leur passé, Wilton Littlechild et les autres survivants et survivantes font aujourd’hui tout le contraire : ils parlent de leur expérience pour qu’elle passe à l’histoire. Pour certains, ce sera la seule fois où ils raconteront leurs douloureux souvenirs. Pour d’autres, raconter leur histoire à des personnes réellement à l’écoute aura un effet curatif.

La langue autochtone est importante pour Wilton Littlechild. Il a souvent entendu dire que des élèves avaient été battus pour avoir parlé leur langue. Heureusement, son grand-père ne comprenant que le cri, les coups n’ont pas réussi à lui faire oublier sa langue.

La guérison, dit Wilton Littlechild, est une question d’équilibre.

« Pensez à la roue médicinale et aux quatre aspects d’une personne — les éléments spirituel, psychologique, physique et émotionnel de la santé. Tout est une question d’équilibre. »

Sa vie après le pensionnat n’a pas été sans heurts. Ayant grandi dans un environnement où la discipline était stricte et les punitions, monnaie courante, il a infligé un traitement similaire, moins sévère toutefois, à ses propres enfants et petits-enfants. Il a crié, il a donné des coups; parce qu’il avait lui-même été l’objet de cris et de coups.

Il lui a été difficile de leur demander pardon, à tous, y compris son épouse. Et, comme dans le cas des excuses du gouvernement aux anciens élèves des pensionnats en 2008, les siennes ont mis du temps à venir.

« La meilleure chose qui ressort de cette expérience est que, tous les jours, je dis à ma femme et à mes enfants que je les aime. »

L’amour et la collaboration, a-t-il dit à des étudiantes et étudiants de l’Université du Nouveau-Brunswick en 2011, sont essentiels non seulement à la guérison, mais également à la réconciliation.

« Rendez-vous sur une voie ferrée et tentez de marcher sur un rail, leur a-t-il dit. Vous arriverez à avancer un peu, mais vous finirez par tomber. Par contre, si votre ami marche sur l’autre rail et que vous vous tenez par la main, vous pourrez marcher ainsi pendant des kilomètres sans jamais tomber, parce que vous vous soutenez mutuellement. »


i Note de la traductrice : Toutes les citations sont traduites librement.