Passer au contenu principal
Menu
À la défense des droits de la personne

Transcriptions de l’entrevue de Karihwakè:ron Tim Thompson au sujet de l’éducation des Premières Nations au Canada

Les élèves des Premières Nations (vidéo 1 de 6)

Question : Combien d’élèves des Premières Nations fréquentent une école située dans une réserve?

Tim Thompson : Environ 118 000 élèves fréquentent l’une des plus de 500 écoles élémentaires et secondaires des Premières Nations. La plupart de ces écoles, ou environ les trois quarts, sont des écoles élémentaires. Ces 118 000 élèves viennent de différentes cultures autochtones et représentent une cinquantaine de langues des Premières Nations.

Le financement de l’éducation (vidéo 2 de 6)

Question : Le gouvernement du Canada verse des paiements de transfert aux provinces et territoires pour les aider à financer le système d’éducation publique. Pourquoi ces paiements de transfert n’incluent-ils pas de fonds pour l’éducation des Premières Nations?

Tim Thompson : La relation entre les Premières Nations, l’État canadien et la Couronne remonte à l’époque des traités, avant la Confédération. Lorsque le Canada est devenu un pays, l’article 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique a donné au gouvernement fédéral la responsabilité des Indiens et des terres qui leur étaient réservées. Le gouvernement s’est ainsi vu accorder le pouvoir de créer une loi, la Loi sur les Indiens, dont les articles 114 à 122 définissent ses responsabilités en éducation. Avant même la Confédération, on voyait déjà la mise en place d’un système fédéral d’éducation pour les peuples des Premières Nations.

Beaucoup de gens ont maintenant entendu parler des pensionnats indiens, qui ont vu le jour dans les années 1850. Peu à peu, des écoles de jour ont aussi ouvert dans les réserves. Ces écoles ont été repensées à partir des années 1950 jusqu’à former les écoles d’aujourd’hui. Bien qu’il y ait eu une certaine évolution de la pensée du gouvernement fédéral au fil des ans, je crois qu’il est juste de dire que nous faisons toujours partie d’un système d’éducation fédéral. Ce système est encore régi par une loi créée par le gouvernement fédéral. En fait, les dispositions de l’actuelle Loi sur les Indiens n’ont pas changé depuis 1951. Nous travaillons donc à l’intérieur d’un cadre juridique qui a presque 70 ans. Ce cadre a été créé à l’époque pour répondre à une exigence du gouvernement fédéral, qui encourageait l’intégration des membres des Premières Nations dans l’ensemble de la société.

À l’époque, le gouvernement croyait encore que nous finirions par disparaitre, et il estimait que cette loi nous permettrait d’acquérir les connaissances et les compétences de base nécessaires pour réussir comme membres de la société en général.

Les cadres stratégiques et règlementaires en place sont tous dépassés. Ils sont toujours définis par le gouvernement fédéral. Les formules de financement de nos écoles sont elles aussi unilatéralement définies par le gouvernement fédéral. Elles datent de 1987-1988. La plupart des provinces changent leurs formules de financement des écoles tous les cinq à dix ans. Les nôtres sont en place depuis deux générations d’élèves.

En 1972, les Premières Nations ont réclamé des changements et ont publié une déclaration de principe intitulée La maîtrise indienne de l’éducation indienne. Cette déclaration demandait clairement la fin de l’expérience sociale qui avait été menée pendant plus d’un siècle et demi. Nous appuyons toujours cette déclaration aujourd’hui.

Le financement inéquitable (vidéo 3 de 6)

Question : Pourquoi le montant du financement accordé pour l’éducation des élèves autochtones dans les réserves diffère-t-il de celui accordé aux élèves à l’extérieur des réserves, alors que l’éducation est un droit garanti à chaque enfant du pays?

Tim Thompson : C’est une grande question. C’est une question que nous continuons de poser. L’entente de financement du gouvernement fédéral, qui prévoit le transfert de fonds aux écoles des Premières Nations, disait autrefois que les écoles recevant des fonds devaient en retour offrir une éducation comparable à celle offerte dans le système provincial. Le gouvernement a quelque peu changé la formulation pour dire que les programmes offerts dans une école des Premières Nations doivent permettre aux élèves de passer de cette école au système provincial sans être pénalisés.

En réalité, cela veut dire la même chose. Nos éducateurs, nos administrateurs scolaires et les chefs de conseil se demandent pourquoi le gouvernement, s’il cherche une forme de comparabilité ou d’équité, ne fournit-il pas aux écoles des Premières Nations autant de fonds que ceux que reçoivent les écoles qui relèvent des systèmes provinciaux. Vous posez donc une question à laquelle la réponse se fait toujours attendre.

On peut traiter les données de bien des manières. Ce que nous savons, toutefois, c’est qu’à partir de 1996-1997, le gouvernement fédéral a décidé d’imposer un plafond à l’augmentation des sommes versées, limitant cette augmentation à seulement 2 % par année. Nous savions à ce moment-là que notre population augmentait, de même que le cout des salaires des enseignants, des livres et du matériel scolaire en général. Nous estimions qu’une augmentation de 6,2 % était nécessaire. Nous voici 20 ans plus tard et le plafond de 2 % pour le financement de l’éducation des Premières Nations est encore là. La hausse de 6,2 % ne s’est jamais matérialisée.

L’éducation des Premières Nations accuse, selon nous, un retard chiffré à plus de deux milliards de dollars. Cela me renvoie à votre question. Pourquoi en est-il ainsi? Pourquoi un tel écart? Il existe probablement plusieurs raisons à cela. Je ne sais pas s’il y a une seule réponse possible. Il ne faut pas oublier que l’éducation des Premières Nations n’est pas la seule chose à laquelle un plafond a été imposé en 1996-1997. Des plafonds ont aussi été imposés au financement des services sociaux, des gouvernements, du logement et des infrastructures des Premières Nations. Ces plafonds sont encore en vigueur 20 ans plus tard. Nous sommes en présence d’une crise du financement qui touche les gouvernements des Premières Nations et qui a un effet dévastateur sur l’éducation.

L’éducation des Premières Nations (vidéo 4 de 6)

Question : Si j’étais une élève des Premières Nations et que je fréquentais une école située dans une réserve, à quoi ressemblerait mon éducation?

Tim Thompson : Environ 60 % des élèves des Premières Nations vont à l’école dans une réserve. Ils reçoivent une éducation dont les programmes sont équivalents à ceux offerts dans les écoles ordinaires pour ce qui est des exigences de base. Ce qui pose un problème à beaucoup d’écoles est la disponibilité des ressources.

Les formules de financement ne prévoient pas de bibliothèques dans les écoles des Premières Nations. Les fonds prévus pour les ordinateurs et la technologie sont insuffisants. Ces éléments ne font pas partie de la formule mise au point en 1988. Les programmes d’immersion linguistique sont rares. Ils existent dans une certaine mesure, mais une seule école des Premières Nations au Canada permet aux élèves de faire toute leur scolarité, de la maternelle à la dernière année du secondaire, en langue autochtone. De toute évidence, les problèmes de financement limitent les ressources et les possibilités que peut offrir l’école.

Le manque de financement entraine un autre défi, soit le roulement du personnel enseignant. Pourtant, nous avons des écoles qui fonctionnent très bien. Nous avons aussi des éducateurs et éducatrices dévoués dans leur communauté. Dans tout le pays, on retrouve des gens incroyables qui se donnent corps et âme à leur profession. Ce sont ces personnes qui inspirent le changement. Elles sont l’épine dorsale de tous les efforts d’action politique déployés en faveur de l’éducation des Premières Nations.

La salle de classe idéale (vidéo 5 de 6)

Question : À votre avis, à quoi devrait ressembler l’éducation des Premières Nations? À quoi ressemblerait votre classe idéale?

Tim Thompson : Je pense que ce que nous entendons de la part des gens en général est… qu’ils sont inspirés par la déclaration de principe de 1972, laquelle demande essentiellement un contrôle parental de l’éducation des Premières Nations, un contrôle communautaire de l’éducation des Premières Nations, et affirme que les communautés des Premières Nations doivent tenir elles-mêmes les rênes.

Nous ne pouvons pas continuer d’exister dans un cadre d’ingénierie sociale vieux de plus de 150 ans. Les Premières Nations des quatre coins du pays disent la même chose depuis la déclaration de principe de 1972, soit depuis près de 50 ans. Elles revendiquent une éducation de qualité, adaptée à la culture, qui reflète les besoins des apprenantes et apprenants des Premières Nations. Vous n’entendez personne dire vouloir vivre dans l’isolement. Ce que nous voulons, c’est vivre dans deux mondes, pas dans un seul. Nous ne voulons pas être seulement préparés pour intégrer un seul monde. Nous voulons être préparés pour vivre, en tant qu’êtres humains, dans deux mondes. On trouve de très bons exemples un peu partout au pays, où de grands progrès ont été réalisés, où d’excellents programmes ont été élaborés dans un langage approprié, où des programmes d’immersion ont été lancés et où se déroulent des activités de formation pédagogique extraordinaires. C’est le changement systémique qui tarde à venir. Il y a des personnes formidables et motivées qui changent les choses localement. Le changement systémique est plus lent. Alors il faut poursuivre nos efforts.

Que pouvons-nous faire? (vidéo 6 de 6)

Question : À votre avis, que faudra-t-il pour parvenir à ce changement?

Tim Thompson : Davantage de sensibilisation du public. Les Canadiennes et Canadiens doivent pouvoir dire à leurs dirigeants et dirigeantes qu’il est temps de changer les choses, qu’il est temps de travailler avec les peuples des Premières Nations dans l’esprit des traités, de se respecter véritablement, de bâtir quelque chose ensemble qui reflètera les besoins et les intérêts de tous les membres des communautés des Premières Nations.

Il y a beaucoup de mythes à briser. Les Premières Nations veulent pouvoir s’assurer que leurs identités sont fortes et qu’elles peuvent contribuer à leurs communautés et au monde qui les entoure. Nous avons toujours eu du mal à comprendre pourquoi cela est si effrayant pour le gouvernement, pourquoi ce dernier craint tant de rompre les liens imposés par les lois, les politiques et les modèle de financement. Il y a toujours de l’espoir. Alors nous continuons de faire pression et de travailler en faveur du changement.

L’hôte : Merci beaucoup, Tim.

Tim Thompson : Niá:wen (merci). Lo (de rien).