Passer au contenu principal
Menu
Choisir la langue
À la défense des droits de la personne
Entrevue
Louise Arbour

Louise Arbour Crimes contre l’humanité

Choisir la langue

ANNÉES 9 à 12  /  DURÉE SUGGÉRÉE = Six classes de 60 minutes

« “Ceux qui disent qu’une tâche est impossible devraient s’enlever du chemin de ceux qui sont en train de l’accomplir!” C’est ce que nous avions envie de dire. Nous avions si peu de temps pour réfléchir, et écrire… Je pense que cela a été fait par d’autres, mais pour nous il s’agissait simplement de… “Partir. En finir.” »

L’hélicoptère de Louise Arbour vient d’atterrir sur le site d’une fosse commune en Croatie.

Elle parcourt du regard la scène d’horreur que révèle l’enlèvement de la terre  : les effets du génocide.

Des drapeaux orange marquent l’emplacement de douilles de balles et des drapeaux jaunes celui de fragments d’os.

Elle ratisse du regard les fragments d’os visibles, cligne les yeux et se tourne vers un enquêteur.

« Est-ce que ça y est? Est-ce l’un de nos sites? Avons-nous les preuves qu’il nous faut? », demande-t-elle.

Mme Arbour doit être détachée. Elle a été procureure en chef du Tribunal international des crimes de guerre, où elle a intenté des procès aux criminels de guerre, et juge à la Cour suprême de l’Ontario. Des causes difficiles, elles en a vu passer par centaines.

« La réalité est qu’on a une besogne à accomplir, dit Mme Arbour. Parfois, on ne s’arrête pas à ce qui s’est passé. On l’enfouit au fond de soi, bien au fond, là où ça ne fait pas trop mal. »

Mme Arbour n’a pas toujours eu besoin d’une telle carapace. Pendant ses dix années de pensionnat dans un couvent catholique, elle ne voyait pas beaucoup plus loin que la cour arrière.

À l’âge de 20 ans, quand elle a commencé ses études de droit en Ontario, elle s’est trouvée du jour au lendemain exposée à toutes sortes de problèmes qui ont éveillé sa conscience sociale.

« Je pense que c’est seulement lorsque je suis partie de chez moi que j’ai réalisé jusqu’à quel point notre vision du monde est étroite et confortable lorsque nous grandissons dans un environnement religieux, culturel et linguistique très monolithique, qui s’autorenforce constamment, mais qui ne se mesure jamais à quoi que ce soit d’autre », déclare-t-elle.

En quelque sorte, si elle a commencé à s’intéresser autant aux groupes marginalisés du monde, c’était parce qu’elle avait abouti dans un monde plus « hétérogène » où finalement elle se sentait plus à l’aise.

Sa formation en droit est devenue vitale pour orienter non seulement sa carrière, mais également sa propension à aider.

« Le droit, c’est un ensemble de compétences, mais aussi une façon de penser, précise-t-elle. C’est quasiment comme apprendre une autre langue. C’est une manière de raisonner, d’aborder les questions. »

La pratique du droit correspondait au processus par lequel elle voulait aider : enquêter, questionner et plaider. Relier ces éléments, selon elle, est la clé de « l’action ».

« Dans mon cas, mon aide est passée par le droit, mais elle aurait pu passer par les soins de santé, les études environnementales, les arts. Les façons de contribuer sont infinies. Le désir de contribuer, soit que vous l’avez ou que vous ne voulez pas en entendre parler. »

L’éducation de Mme Arbour lui a cependant donné un atout important : la conviction de ses capacités naturelles.

« Je n’ai jamais douté de la capacité des femmes d’accomplir des choses, parce que je n’avais, pour ainsi dire, vu que cela jusqu’à l’âge de 20 ans, affirme-t-elle. J’ai vu des femmes très compétentes et très instruites, des religieuses, mais cela ne leur enlevait pas leurs capacités. Cette conviction, je pense, m’a accompagnée toute ma vie. »

Louise n’a aucune patience pour l’abus de pouvoir, un trait de personnalité, avoue-t-elle, qui a influencé tout son travail. Elle dirige son attention sur les personnes laissées pour compte, opprimées ou méprisées.

« Je m’inquiète intuitivement et profondément pour les gens qui n’ont jamais eu de répit. Jamais. Il faut bien que quelqu’un s’inquiète pour eux… Nous n’avons du mérite que dans la mesure où nous donnons à ceux qui sont perçus comme les plus démunis d’entre nous. »

Avant de se joindre au Tribunal pénal international de La Haye aux Pays-Bas, Mme Arbour s’est consacrée pendant un an à enquêter sur la structure du pouvoir et le traitement des détenues dans une prison pour femmes en Ontario. Elle a suivi, encore une fois, la voie de la marginalisation, passant de la population carcérale en général aux femmes détenues et aux détenues vivant avec des problèmes de santé mentale.

Le dossier de ces femmes était « au bas de la pile ». Elle est fière de l’élan que ses travaux ont donné aux gens travaillant sur le terrain.

Le travail de Mme Arbour à La Haye a représenté une suite logique pour celle qui estimait que « les personnes qui abusent des privilèges associés au pouvoir doivent rendre des comptes », mais il n’a pas été facile.

Confrontée aux crimes de guerre perpétrés au Rwanda et dans l’ex-Yougoslavie, elle a dû plonger dans un monde très différent, sans avoir eu le temps de se préparer.

Dans ces pays, « ça se passait vraiment. Des personnes se faisaient tuer. »

Mme Arbour est allée du confort à l’inconfort, de la compréhension à l’incompréhension. Professionnellement, l’expérience a été « extraordinaire ».

« Soudainement, nous arrivons en Croatie, ou en Bosnie, ou au Rwanda. Nous ne parlons pas la langue. Nous n’avons pas de réseau d’informateurs. Nous nous attendons à pouvoir agir selon les mêmes normes que chez nous, mais nous faisons face à d’énormes défis. »

Toute sa vie, Mme Arbour a cherché à relever les défis qui se présentaient à elle et n’a jamais hésité au besoin à se lancer dans une toute nouvelle direction pour le faire. Cette volonté, avoue-t-elle en riant, ne fait pas d’elle un bon modèle. « Je ne garde pas un emploi bien longtemps. »

Qu’il s’agisse d’enseigner en anglais, sa seconde langue nouvellement apprise, de devenir juge de première instance sans jamais avoir plaidé en cour (« J’avais une vague idée que le juge était la personne occupant le siège le plus élevé »), ou de porter des accusations de génocide contre l’ancien président de la Bosnie, Slobodan Milošević, Mme Arbour ne s’est jamais sentie bien préparée à remplir ses différents rôles.

« Je n’étais aucunement qualifiée pour occuper les divers emplois que j’ai eus dans ma vie, déclare-t-elle. Cela peut paraitre exagéré, mais c’est une façon de dire que j’ai exercé toutes sortes de fonctions et qu’elles ont toutes été difficiles. »

Mme Arbour sait que ce travail difficile était important, mais elle reconnait du même souffle que, dans le fond, elle n’a toujours été qu’un élément d’une très vaste opération.

« Je vois cela comme une chaine. Chacun de nous est un maillon et il incombe à chacun de nous de ne pas être le maillon faible qui fera s’écrouler le tout. Si nous y arrivons, nous aurons au moins fait notre part », ajoute Mme Arbour.

« Je n’ai rien inventé. Tout est déjà là. »


« Un sentiment d’injustice peut être très réel, même s’il s’agit, subjectivement, d’une affaire pas très grave ou pas démontrable. Une injustice est un affront personnel qui fait naitre un sentiment extrêmement intense et profond. »

« La clé consiste à acquérir les compétences qui correspondront à votre désir de faire quelque chose pour les autres… »

« Beaucoup de problèmes n’ont pas besoin d’être résolus; ils ont juste besoin de disparaitre. On doit les désamorcer au lieu de les aggraver. Je vois la justice comme un environnement pacifique. »