ANNÉES 7 à 12 / DURÉE SUGGÉRÉE = Trois classes de 60 minutes
« Quelqu’un saura quoi faire. Va demander conseil.
Il y a des gens qui se préoccupent de ces questions.
Tu es humaine, ce que tu ressens, d’autres le ressentent aussi…
Tu contribueras à mettre fin à l’injustice. »1
Pour Rosemary Sadlier, l’important est que les choses se fassent. Elle l’admet volontiers, s’il faut choisir, elle préfère l’action à la perfection.
« Je suis vraiment fière d’être ici. »
Ce sont là les premiers mots qu’elle a prononcés lors d’une réception à laquelle assistaient, entre autres, Jean Chrétien et des membres du Canadian Black Caucus.
Cette phrase toute simple avait le mérite d’être vraie, claire et nette.
Mais c’est là aussi la seule phrase dont elle se soit rappelée du discours qu’elle avait préparé et soigneusement rangé dans sa valise, à quelques étages de là. Et, pour finir, c’est la seule phrase dont elle se souvienne du discours qu’elle a en réalité prononcé.
Décidément, on ne passe pas à l’histoire sans avoir dû surmonter quelques difficultés!
Après tout, la réception, tenue en février 1996, était une célébration du tout premier Mois de l’histoire des Noirs et des Noires. Et Rosemary, alors présidente de l’Ontario Black History Society (OBHS), avait exercé des pressions auprès de l’ancienne députée Jean Augustine pour qu’elle soumette la proposition de créer ce Mois à la Chambre des communes à peine quelques mois plus tôt.
Pour Rosemary, le Mois de l’histoire des Noirs et des Noires est un baume sur les blessures qu’elle traine depuis l’enfance et qui lui viennent de ce que, peu importe les bonnes situations dans lesquelles elle se soit trouvée, c’était toujours soit un coup de chance soit le résultat d’un effort, mais jamais la normalité. Bref, elle a toujours dû défendre son droit à l’existence.
« C’est quelque chose que j’ai toujours dû faire, une chose à laquelle j’ai toujours dû réfléchir et que j’ai toujours dû dire, une réalité que j’ai dû arriver à comprendre en adoptant la perspective des autres… Aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours dû mener cette lutte. »
Enfant, elle jouait dans la rue où elle habitait, à Toronto. Une fois, une amie lui a demandé innocemment de quel pays lointain son père venait.
Comme Rosemary ne savait pas quoi répondre, elle est rentrée chez elle et a posé la question à son père. Et elle a vu les poings de son père se fermer, ses sourcils se froncer et ses lèvres se pincer. Tout son corps témoignait du malaise provoqué par la question.
« Cette question est lourde de sens. Elle cache en fait un million de questions et autant d’idées préconçues », explique Rosemary.
Son père n’a pas entendu : « Papa, de quel pays viens-tu? ». Il a entendu une question qui l’avait toujours hanté et qui lui rappelait qu’il ne faisait pas partie de la communauté, qu’il n’était pas à sa place dans cette société.
Même si ses ancêtres sont arrivés au Canada en 1783, le père de Rosemary se faisait constamment demander de quel pays il venait en raison de la couleur de sa peau.
Rosemary attribue davantage ce comportement à l’ignorance qu’à la méchanceté. Elle estime que l’histoire des Noires et des Noirs canadiens n’occupe pas une place suffisamment grande dans notre mémoire collective ou nos programmes d’études, au point que les gens ne savent pas quel a été le rôle de cette population en Amérique du Nord, et encore moins au Canada, mise à part, peut-être, la question de l’esclavage, du chemin de fer clandestin et du mouvement des droits civiques.
« Que s’est-il passé entre 1834 et 1967? En fait, il s’est passé bien des choses. Mais qu’en sait-on? Quelle contribution les personnes d’origine africaine ont-elles faite depuis le début et continuent de faire encore aujourd’hui? »
L’ignorance de la réponse à cette question a poursuivi Rosemary tout au long de ses études où elle a toujours été la seule enfant de race noire de sa classe.
Pendant ses études secondaires, le conseiller en orientation lui avait dit que le seul métier auquel elle pouvait aspirer était celui de secrétaire : « rendre belles les choses que d’autres te donnent ». Elle a beaucoup de respect pour les secrétaires, mais ce n’était pas le métier qu’elle avait envie de faire. Elle voulait élaborer ses propres plans, mais le conseiller lui disait qu’en sa qualité de femme noire, elle n’avait pas d’autre débouché.
Elle a réussi à tracer son propre chemin vers le travail social, mais n’était quand même pas au bout de ses peines. Un employeur lui a dit explicitement que, lorsqu’il avait reçu sa candidature, il avait pensé qu’il rappelait une personne de race blanche. Rosemary a participé à l’entrevue en sachant très bien qu’elle perdait son temps.
« Dans l’esprit des gens, les aidants étaient forcément de race blanche et les bénéficiaires de l’aide, les autres, explique-t-elle. Et moi, je me présentais comme aidante. Je dérangeais un peu trop l’ordre établi. »
Ce baume que représente le Mois de l’histoire des Noirs et des Noires, depuis ses débuts à Toronto (où année après année tout était à refaire) jusqu’à aujourd’hui, ne guérit pas, mais il aide.
« D’une certaine manière, ajoute Rosemary Sadlier, les gens sont presque obligés de faire quelque chose pour marquer l’évènement. »
Pour sa part, Rosemary se bat pour faire connaitre l’histoire et la culture des Noirs et des Noires en Ontario, ce qu’elle fait dans le cadre de son travail pour l’OBHS. Si le chemin Negro Creek dans le Nord de l’Ontario a gardé son nom au lieu de prendre celui d’un immigrant irlandais, c’est parce que Rosemary voulait s’assurer qu’on n’oublie pas toutes les personnes de race noire qui, jadis, habitaient là.
Cela dit, pour employer les mots de Rosemary, le Mois national de l’histoire des Noirs et des Noires, ça, c’est autre chose! C’est même devenu une priorité, au moins une fois par année, d’enseigner l’histoire des Noires et des Noirs canadiens dans les écoles du Canada. Le rêve de Rosemary est que cela devienne une priorité des classes d’histoire tout au long de l’année.
« Connaitre l’histoire des Noires et des Noirs du Canada revêt une importance vitale, affirme Rosemary Sadlier. Tout le monde devrait la connaitre. C’est la seule façon d’arriver à être ce que nous prétendons déjà être comme société. »
Et pour franchir ce pas, Rosemary affirme que l’enseignement de cette histoire ne doit plus être seulement recommandé, mais exigé.
« Les écoles sont les instruments de socialisation les plus puissants que nous ayons. Si l’on n’oblige pas les écoles à enseigner cette histoire, c’est comme si nous disions que cette histoire n’a pas grande valeur, qu’elle est seulement périphérique. Autrement dit, si vous lui accordez un peu de temps en février, cela suffit! À mon avis, ce n’est pas là le message qu’il faut transmettre aux Canadiennes et aux Canadiens. »
1 Toutes les citations de Rosemary Sadlier sont traduites librement.
« Il m’est très rarement arrivé de vivre des moments vraiment forts, de pur bonheur, où j’ai eu le sentiment d’une véritable justice. Et quand on n’a jamais la chance de vivre cette justice, on s’efforce continuellement de la créer, de la faire se manifester, consciemment ou non. »
« J’espère que le savoir ira en augmentant. Je pense qu’avec le savoir vient la capacité de vraiment s’exprimer et de comprendre ce que signifie l’inclusion. Tant qu’on ne comprend pas la diversité, on ne peut vivre l’inclusion, parce qu’on passe son temps à se poser des questions. »
« Il faut se rappeler que la personne qui est devant soi est une personne, que cette personne a des droits et des responsabilités, qu’elle a des besoins et un sens de la dignité, qu’elle a des choses à offrir et qu’elle mérite le respect. Finalement, c’est à cela que se résument les droits de la personne. »