ANNÉES 5 à 12 / DURÉE SUGGÉRÉE = Trois classes de 60 minutes
« Poursuivre son rêve! »*
Le Dr Gilles Julien aime sculpter. Il explore la pierre brute et l’histoire qu’elle raconte, sans idées préconçues, sans jugement. Chacune de ses sculptures prend une forme à elle, complètement différente de celle des autres. Toutes sont lisses et abstraites, mais toutes ont leur caractère propre.
« Je ne sais pas au départ quelle allure aura la pierre. Je la découvre à mesure que je la sculpte. C’est la pierre qui me guide. »
Aucune pierre n’est pareille à une autre. Et dans sa pratique médicale dans un des quartiers les plus pauvres de Montréal (Mercier-Hochelaga-Maisonneuve), aucun enfant n’est pareil à un autre. Tout comme les pierres qu’il sculpte, chacun des enfants avec lesquels le Dr Julien travaille a son histoire.
« Je me laisse complètement guider par l’enfant, explique-t-il. Je découvre par les enfants des choses que, normalement, les gens ne voient pas. Je sens rapidement leurs émotions, leurs besoins. »
Le Dr Julien pratique la pédiatrie sociale, une approche de la pédiatrie qui repose sur les droits des enfants. Elle consiste à offrir un traitement holistique à des enfants désavantagés ou maltraités.
La pédiatrie sociale ne s’occupe pas seulement du traitement physique (blessures et maladies), c’est-à-dire la partie « facile » du traitement, mais aussi d’autres aspects tout aussi importants de la santé des enfants comme la santé mentale, la stabilité familiale, le lien entre l’enfant et la personne qui s’en occupe, et le soutien communautaire.
Les murs de son centre de santé, à l’intérieur comme à l’extérieur, revêtent de belles couleurs vives et le centre lui-même est à mi-chemin entre un cabinet médical et un centre communautaire.
Au Québec, sa province natale, le Dr Gilles Julien est considéré comme le « père » de la pédiatrie sociale. C’est une orientation qu’il a prise très tôt et qui n’a pas toujours été facile.
Le Dr Julien a toujours eu un penchant pour l’engagement social, mais le bénévolat qu’il a fait dans sa petite ville lui a permis de voir pour la première fois le vrai visage de la pauvreté chez les enfants et les personnes âgées. C’est ce qui l’a poussé vers la médecine et, ensuite, vers la pédiatrie.
« J’ai vraiment vu d’importants écarts. »
Durant sa formation en urgentologie, le Dr Julien a constaté de visu que l’approche qui consistait à « traiter et renvoyer » sans d’autre suivi ne fonctionnait pas. À l’hôpital, les enfants qui souffraient de « misère sociale » (des problèmes constants à la maison et dans leur communauté) ne pouvaient être traités que le temps nécessaire à leur guérison physique.
« On nous dit que nous allons sauver des vies, mais est-ce vraiment ce que nous faisons? »
À sa sortie de l’université, le Dr Julien est allé travailler dans un cabinet de pédiatrie traditionnelle avec un petit groupe de collègues. Il n’a pas duré plus de trois ou quatre ans.
« Je suis parti parce que j’avais besoin de trouver ma voie, à la consternation de mes collègues qui ont vu dans mon départ une sorte de trahison, précise le Dr Julien en souriant. J’étais un bon médecin et j’avais une grosse clientèle. Mes collègues ne comprenaient pas pourquoi je partais. »Il a donc quitté Montréal pour trouver un endroit où pratiquer la médecine comme il l’entendait. Il est d’abord allé aux iles Comores, près de la côte sud-est africaine, puis dans le Nord du Québec, où il a travaillé avec les Inuits. Il a fallu 25 ans pour qu’il retourne à Montréal.
En Afrique et dans le Nord du Québec, le Dr Julien a trouvé des communautés qui travaillaient avec leurs médecins pour appuyer les soins aux patients. Avec les Inuits, il encourageait la communauté à parler aussi ouvertement des mauvais traitements sexuels que des blessures ou maladies physiques. De retour à Montréal au début des années 1990, il s’est inspiré de ses deux expériences.
« J’ai décidé de pratiquer une autre sorte de médecine », précise le Dr Julien.
Il n’avait pas de cabinet, mais une bicyclette. Il est donc devenu pédiatre ambulant et rendait visite à ses jeunes patientes et patients chez eux, ce qui lui permettait de se faire une meilleure idée de leurs appuis sociaux.
Avec l’aide d’un bienfaiteur qui lui a fourni deux propriétés l’une en face de l’autre à Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, le Dr Julien a fondé l’organisation Assistance d’enfants en difficulté et la Fondation du Dr Julien, afin de financer le centre de santé. Il a alors commencé à travailler directement avec la communauté.
Il voit maintenant 3 000 enfants par an et s’occupe directement ou indirectement de leurs soins de façon continue. Il a l’appui de nombreux bénévoles et bienfaiteurs qui partagent sa vision de la médecine et de son travail.
Celle qui est le plus près de son cœur est sa femme qui l’a aidé à voir le lien étroit entre la pédiatrie sociale et les droits des enfants. Ensemble, ils s’efforcent de faire appliquer la Convention relative aux droits de l’enfant auprès des 3 000 enfants qu’il voit chaque année.« La pédiatrie sociale est une médecine de proximité. C’est une médecine différente qui répond à mes rêves les plus fous. »
Dans ce travail, la patience et la persistance sont des qualités indispensables. Avec une patiente, le Dr Julien a dû attendre sept ans pour qu’elle lui confie qu’elle était victime de violence sexuelle. Une autre fois, le Dr Julien est allé en cour en qualité d’expert médical pour appuyer une patiente. Son témoignage a permis d’empêcher que la Direction de la protection de la jeunesse lui enlève son bébé.
« J’ai été fier de voir que la justice pouvait donner raison à une personne complètement exclue de la société dite “normale”. »
L’approche un peu bohémienne de la médecine du Dr Julien a eu ses détracteurs. C’est seulement ces dernières années que la pédiatrie sociale a commencé à être reconnue tant par les gouvernements que par les confrères et consœurs du Dr Julien.
Voilà plus de 40 ans qu’il pratique la médecine, mais il n’a pas l’intention de se retirer avant encore longtemps. « C’est le plus formidable des métiers et je ne veux pas l’abandonner. Mes collègues ont déjà pris leur retraite depuis longtemps, mais moi, je n’en ai absolument pas envie. »
Outre la sculpture, le Dr Julien trouve son inspiration et sa satisfaction dans ses relations avec ses patients. Les histoires des enfants, que ce soit de simples lettres ou leur progrès vers la guérison, le motivent jour après jour.
« Les enfants me rendent ce que je leur donne au centuple. »
Le Dr Julien travaille pour donner à ses patients l’espoir d’une meilleure vie et une deuxième famille, sans jamais essayer de remplacer la famille d’origine de l’enfant.
L’espoir vient aux patientes et patients du fait qu’ils profitent à la fois d’une protection et de possibilités nouvelles. Prendre la défense d’un enfant, selon le Dr Julien, ne consiste pas à le retirer de sa vie, mais à le protéger et à renforcer sa sécurité (famille, amis, langage, vie scolaire). Le soutien qu’il donne aux enfants, il le fait comme s’il était leur père ou leur grand-père.
De plus en plus nombreuses sont les personnes qui maintenant s’intéressent à l’approche holistique de la pédiatrie sociale. Celle-ci commence à faire l’objet d’essais dans d’autres régions du pays et même aux États-Unis.
« Nous sommes en train de proposer une autre sorte de médecine. »
* Toutes les citations de Gilles Julien sont traduites librement.« Nous travaillons avec beaucoup d’espoir. »
« S’occuper de la santé et du bienêtre d’un enfant veut dire aussi le protéger en respectant son droit à l’identité, à l’utilisation de sa langue, aux liens avec sa famille, à l’éducation dans sa communauté avec ses amies et amis. Toutes ces choses sont des droits. »
« Il faut comprendre les gens, mais le système juge beaucoup trop vite. Et une personne exclue par le système perd tout. Nous devons changer le système. »