ANNÉES 5 à 12 / DURÉE SUGGÉRÉE = Quatre classes de 60 minutes
« J’ai demandé de l’aide. J’ai beaucoup pleuré. J’ai suivi une thérapie. J’en ai suivi une autre. J’ai lu des livres. J’ai écouté de la musique. J’ai lu d’autres livres. J’ai suivi une autre thérapie. J’ai demandé de l’aide. J’avais un bon thérapeute. J’ai trouvé un bon ami. Puis j’en ai trouvé un autre. Ensuite j’ai perdu le premier et gardé le deuxième. J’ai gardé celui-ci un certain temps. J’ai fait tout ce que j’ai pu juste pour garder la tête hors de l’eau. »
Tout a commencé un mardi soir à Edmonton, en Alberta.
Jeremy Dias a cinq ans. Il fait froid. Il tient une bougie, les pieds dans la neige. Il est avec sa mère et l’aide à manifester contre le faible salaire qu’elle reçoit comme fonctionnaire.
Dans la foule, il voit la bougie du dirigeant syndical s’éteindre.
« J’ai donc traversé rapidement la foule et rallumé sa bougie. »
Le lendemain, cette image d’un enfant appuyant la manifestation en 1988 fait la une des journaux. À sa façon, le petit Jeremy de cinq ans a apporté sa contribution.
Comme Jeremy croit que les jeunes sont la clé du changement, il véhicule cette idée dans chaque atelier de lutte contre l’intimidation et l’homophobie qu’il présente au nom de l’organisation qu’il a fondée à l’âge de 22 ans, Jer’s Vision, et qui s’appelle maintenant le Centre canadien de la diversité de genres et de la sexualité.
Jeremy n’aimait pas beaucoup l’école.
« Je me sentais toujours comme si je n’étais pas vraiment à ma place avec ces règles et ces systèmes qui étaient toujours là », dit-il.
Il a encore moins aimé l’école lorsqu’il a dû quitter ses amis d’Edmonton pour entrer à l’école secondaire à Sault Ste. Marie, en Ontario.
« La plupart du temps, c’était simplement épuisant, vraiment épuisant, ajoute Jeremy. J’attendais que ça se produise, puis ça se produisait, et j’attendais que ça se reproduise, puis ça se reproduisait, et encore et encore. Je ne savais pas quand ça finirait ou arrêterait. Mais ça ne finissait jamais. »
Il avait 15 ans lorsqu’un ami — un ex-ami maintenant — a révélé l’homosexualité de Jeremy à toute l’école, et lorsqu’une enseignante de mathématiques a ignoré Jeremy lorsqu’il a levé la main pour répondre à une question, même si aucune autre main n’était levée.
Un jour, pendant qu’il mangeait seul son diner, abandonné par ses amis, il s’est retrouvé entouré de l’équipe de football. Le capitaine lui a demandé s’il était vrai qu’il était gai. Jeremy a répondu que oui.
« Écoute-moi bien, a averti le capitaine. Je n’ai rien contre toi, pourvu que tu ne me dragues pas. »
« Je ne te draguerai jamais, a répondu Jeremy. T’es pas assez beau. »
« Il ne m’a pas trouvé drôle », se rappelle Jeremy.
Les choses n’ont pas vraiment changé au cours des deux années qui ont suivi. Pratiquement toutes les personnes dans l’école s’en sont prises à Jeremy — le seul « gai à la peau brune » de l’école — au moins une fois.
« Je compare toujours le manque de respect à mille petites coupures avec du papier, car c’est ce que ça fait, affirme Jeremy. Une coupure avec du papier ne fait pas grand-chose, mais deux ou trois ou quatre vous grugent l’âme jour après jour. On ne peut plus recoller les morceaux après un certain temps. »
Il a fallu un ami pour que tout change, un ami qui s’est porté à sa défense et qui, des mois plus tard, l’a abordé après le bal des finissants et finissantes et lui a dit : « Tu devrais poursuivre l’école en justice. »
C'est ce que Jeremy a fait et il a eu gain de cause.
Il sait qu’il est chanceux parce qu’il a l’appui de sa famille et d’amis — et parce que son histoire est une histoire de survie. Il a pu « améliorer sa situation », et non simplement attendre qu’elle « s’améliore » toute seule. Raconter cette histoire, dit-il, est sa responsabilité.
Jeremy ne souhaite pas que les gens se rendent au point où il s’est rendu, où il a menti, par peur, à ses parents au sujet du mal qu’on lui faisait. Sa vision est celle d’une école où un enfant ou un jeune n’est pas obligé de se rendre pendant des années pour y entendre des méchancetés à son endroit et se retrouver si souvent à l’hôpital que les concierges connaissent son nom.
« Parce que les choses se sont arrangées pour moi, j’ai l’obligation d’aider ceux pour qui elles ne s’arrangent pas, dit-il. J’ai la chance de pouvoir améliorer le monde et ma communauté. »
Se remémorant l’épisode à la cafétéria où ses amis ont été remplacés par un groupe hostile de joueurs de football, Jeremy admet que de voir les athlètes hétérosexuels d’une école devenir les alliés de la communauté allosexuelle lui fait un petit velours.
Dans des écoles partout dans le monde, des athlètes, des universitaires, des laissés-pour-compte et d’autres encore se sont habillés en rose pour appuyer leurs pairs dans leur identité sexuelle ou tirer fierté de la leur. Le Centre de Jeremy a institué la Journée internationale du rose en 2007.
Dans une école secondaire d’Ottawa, les membres de l’équipe de football ont revêtu leur uniforme et tenu une garde d’honneur pour les jeunes allosexuels — lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres, bispirituels ou les personnes en questionnement sur leur identité sexuelle — au bal des finissants et finissantes.
« Ils ont fait une passerelle [avec leurs corps] à travers laquelle les jeunes gais pouvaient passer et se faire prendre en photo. C’était vraiment réconfortant. Ils se tenaient debout comme des chevaliers à une réception royale. »
Le bras droit de Harvey Milk, Cleve Jones, a dit un jour à Jeremy que l’optimisme et la ténacité sont la clé du changement.
En ce qui concerne Jeremy, il n’a pas de message pour les jeunes.
Lorsque j’étais enfant, « je me taisais et j’écoutais », dit-il.
Chaque fois qu’il finit de raconter son histoire, c’est ce qu’il fait. Il écoute les questions et y répond, même si c’est juste « quelle couleur de paillettes préfères-tu? ». Mais la question « qu’est-ce que je peux faire? », dit Jeremy, est la question la plus inspirante que les jeunes puissent lui poser et de fait lui posent.
« Tout a fini par s’arranger… à cause d’un petit garçon qui tenait une bougie », ajoute Jeremy.
« Ce n’est évidemment pas tout à fait vrai, mais j’aime le croire parfois. »
« Le plus difficile, mais aussi le plus important pour moi a été de demander de l’aide. À un moment donné, il faut savoir reconnaitre que les choses ne peuvent pas s’arranger toutes seules et que NOUS devons faire quelque chose. Et cela veut dire ALLER CHERCHER DE L’AIDE, que ce soit à Jeunesse, J’écoute, aux Services jeunesse ou auprès d’un membre du personnel enseignant. »
« J’ai essayé de faire un peu plus (pour les droits des personnes allosexuelles); j’ai essayé d’expliquer la situation afin que tout soit clair, honnête et direct. En même temps, cependant, je me faisais battre. J’aboutissais à l’hôpital de temps en temps. »
« Je pense que, comme homme, j’ai la responsabilité, dans ma lutte contre le sexisme, d’être un allié, de manifester mon soutien, de m’impliquer et de comprendre comment mes actions touchent les femmes. De la même façon, les hétéros ont la responsabilité de se rendre compte de ce qu’ils font, de ce qu’ils ont fait, et de ce qu’ils peuvent faire pour remédier aux problèmes que doivent affronter les personnes allosexuelles. »
« [Notre organisation] ne dit jamais qu’un comportement est un acte d’intimidation. Nous nommons les choses par leur vrai nom. Ce sont des injures, c’est du sexisme, c’est de l’oppression violente, ce sont des coups. »