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À la défense des droits de la personne
Entrevue
Mary Simon

Mary Simon Identité culturelle et éducation

ANNÉES 7 à 12  /  DURÉE SUGGÉRÉE = Cinq classes de 60 minutes

« Vous êtes né avec une identité qui vous est propre. Je suis née avec une identité inuite qui vient avec une culture et une langue, un environnement et un mode de vie distincts. Si cette identité vous est enlevée de force ou insidieusement, cela constitue à mon avis, dans bien des cas, une violation de vos droits. »*

Lorsque Mary Simon avait 8 ans, elle s’emmitouflait dans son parka pour se protéger des moins 40 degrés qu’il faisait dehors, allait rejoindre ses amis et entreprenait avec eux la longue marche jusqu’à l’école.

Mais à mesure qu’ils approchaient de l’école, les enfants devenaient de plus en plus nerveux. Leurs voix fortes et joyeuses se transformaient en murmures inquiets.

« Il faut arrêter de se parler en inuktitut », disait quelqu’un à voix basse.

Les plus braves continuaient encore un peu, mais bientôt tous marchaient en silence.

« Une fois à l’école, plus personne ne se parlait, dit Mary Simon. Vous vous rendez compte? »

Dans leur école située dans la région arctique et dirigée par le gouvernement du Canada, les enfants inuits devaient parler anglais jusqu’à ce que la cloche sonne à la fin de la journée et qu’ils puissent rentrer chez eux. Les élèves qui désobéissaient à cette consigne étaient punis.

Cela se passait au Nunavik (Québec) dans les années 1950. Depuis lors, les choses ont beaucoup changé pour la population inuite du Canada. Le dernier des pensionnats a fermé ses portes en 1996. Après l’école élémentaire, Mary Simon aurait fréquenté un de ces établissements si elle avait été scolarisée dans le système scolaire du Nunavik au lieu de recevoir un enseignement à la maison. En 2008, le gouvernement canadien a présenté des excuses officielles aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits pour les mauvais traitements qu’ils ont subis dans ces écoles.

Mary aspire à plus. « Optimiste-née », elle estime que les clés d’un plus grand respect des droits des Inuits sont la compréhension et l’action.

« Mon père, ma mère et ma grand-mère disaient toujours que, si vous voyez quelque chose que vous n’aimez pas et que vous voulez changer, il ne faut pas attendre que quelqu’un le fasse pour vous. Vous devez vous lancer et agir. »

À 15 ans, Mary Simon a commencé à s’interroger sur le monde dans lequel elle vivait, le voyant comme un monde privé des droits et privilèges dont jouissaient les Canadiennes et Canadiens non autochtones.

Quand elle est devenue journaliste, garder le silence lui est devenu impossible.

« [La CBC] affirmait que ma couverture des évènements était trop politique. En gros, mon patron, qui ne parlait pas un mot d’inuktitut, m’a dit de modérer mes propos ou de songer à me lancer en politique. Quelques mois plus tard, j’avais quitté mon travail. »

Mary Simon a déménagé à Ottawa, où elle a trouvé son premier et véritable foyer politique, l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) — appelé à l’époque l’Inuit Tapirisat du Canada —, le groupe de pression inuit du Canada. Même si elle a présidé le Conseil circumpolaire inuit  — qui a remplacé officiellement le terme « Eskimau » par le terme « Inuit » — et travaillé pour les Nations Unies et pour le gouvernement du Canada comme ambassadrice aux Affaires circumpolaires et ambassadrice au Danemark, elle revient toujours à l’ITK.

Avec l’ITK, Mary Simon est bien appuyée pour mener sa lutte à la défense de son peuple. Elle ne recule jamais et a même tenu tête au premier ministre Brian Mulroney au beau milieu de la Conférence des premiers ministres, en 1985.

À l’époque, elle n’avait même pas eu de siège à la table, mais elle avait convaincu un ami de lui céder sa place. Elle a dénoncé les faiblesses de l’accord proposé et a défendu les personnes qui allaient signer un accord qu’elles ne comprenaient pas suffisamment bien pour s’y opposer.

« Il y a eu un tonnerre d’applaudissements dans la salle. J’ai vécu là l’expérience la plus extraordinaire de ma vie. Et l’accord n’a jamais été ratifié  », ajoute-t-elle.

Quelque 30 ans plus tard, les gens reconnaissent encore la contribution de Mary Simon.

« Les gens me disent : “Je me souviens de vous.” C’est merveilleux de voir les gens réagir ainsi en me voyant. J’accueille ces propos avec beaucoup d’humilité parce qu’au fond, je ne fais que mon travail. »

Mary Simon s’est souvent retrouvée seule au milieu d’hommes puissants. Elle garde son franc parler, attribuable en grande partie à sa détermination à faire respecter les droits, mais elle admet qu’il peut être angoissant de partir perdante.

« On tremble de peur parfois, dit-elle en riant, surtout si on s’adresse au premier ministre. »

Un objectif sous-tend toutes ses initiatives : pour que les gens comprennent, il faut d’abord les informer. Elle a dû sensibiliser nombre de ses interlocuteurs à l’existence même du peuple inuit.

« Les gens ne savent même pas qu’il y a des Inuits ni que les Inuits sont parmi les premiers peuples du Canada. Des milliers de gens ne savent même pas que nous existons. Le fossé est énorme sur le plan de l’éducation entre nous et les autres. Nous ne faisons pas partie du système d’éducation. »

Il faudra des années pour accomplir la mission que s’est donnée Mary Simon, car de nombreux gouvernements sont en cause. Mais cela ne la dérange plus.

« Peut-être atteindrons-nous notre but dans 50 ans. … Même si ni vous ni moi ne sommes là dans 50 ans, cela ne veut pas dire que notre mission n’aboutira pas. Renoncer à ce qu’on peut obtenir n’a pas de sens, n’est-ce pas? »

Selon Mary Simon, son peuple a vraiment besoin de soutien. Par exemple, à Iqaluit, au Nunavut, la frustration des jeunes est tangible, dit-elle. Les élèves de 10e année trouvent que leur niveau de lecture est inférieur à celui de leurs pairs canadiens. Il leur devient impossible d’aller à l’université, et cela, affirment-ils, « est injuste ».

L’absence de programmes d’études appropriés et la faible fréquentation scolaire représentent un problème qui touche Mary Simon de près. Or, pour les jeunes inuits, l’éducation fait souvent la différence entre vivre toute leur vie dans la pauvreté et avoir un brillant avenir.

« J’ai moi-même des enfants et je sais qu’il faut soutenir et encourager les jeunes pour qu’ils restent à l’école. J’ai vu tant de jeunes décrocher, dont des membres de ma propre famille. J’ai également des neveux et nièces qui se sont rendus à Montréal pour aller à l’université, mais qui ont dû retourner chez eux parce qu’on leur a refusé l’admission. Je savais que le problème était sérieux, que le fossé était énorme. Mais la nouvelle du rejet de mes neveux et nièces m’a profondément bouleversée. »

Pour Mary Simon, il y a une justice dans le respect et la liberté, ce qu’elle constate chez ses trois enfants qui réussissent dans les voies qu’ils ont choisies et qui s’épanouissent dans une famille jadis opprimée.

« Il ne s’agit pas de vous ou de moi, ajoute Mary Simon. Il s’agit juste de faire reconnaitre finalement que notre peuple est un peuple. »


« La souveraineté doit commencer chez nous. Bâtissons des communautés saines et sures pour notre peuple. … Lorsqu’il existe des communautés permanentes, et que des gens habitent de façon permanente ces communautés, qui les abritent depuis des milliers d’années, la question (de leur appartenance à ces communautés) ne se pose pas. »

« Lorsque vous subissez des revers, que faites-vous? En tirez-vous des leçons? Les laissez-vous vous abattre? Exploitez-vous vos atouts pour affronter l’adversité et la surmonter? À mon avis, c’est un aspect très important de la détermination des enjeux qui nous touchent comme peuple. Qu’est-ce qui est fondamentalement inacceptable? Qu’est-ce qu’on peut changer? »

« Respectez-vous l’un l’autre. Peu importe qui vous êtes, Inuit, membre des Premières Nations, Métis, Canadien français, Canadien anglais, ou quelqu’un d’un autre pays. Respectez-vous l’un l’autre et respectez vos cultures et vos identités respectives. Acceptez les différences. Le monde est vaste. »

* Toutes les citations sont traduites librement.